La tour entre dans l'histoire au XIIe siècle, comme clocher de l'abbaye Saint-Aubin, la plus ancienne d'Anjou, fondée vers 534 par saint Germain de Paris. Ce n'était pas une tour ordinaire, mais la tour de l'abbé, qui possédait ses propres cloches (quatre). Les moines n'avaient qu'un petit clocher de croisée sur l'abbatiale. Elle pouvait servir de forteresse, comme en témoignent meurtrières et puits. Le premier étage - étage noble largement éclairé et bien voûté - était desservi par le puits. Au XVe siècle, le duc d'Anjou payait un veilleur pour guetter du haut de la tour. Selon les mémoires d'un bourgeois d'Angers, la première pierre en est posée par l'abbé Robert de la Tour-Landry en 1130. D'après son style, la construction s'est achevée dans les années 1170.
Après six siècles paisibles, l'histoire de la tour Saint-Aubin devient dense et touffue comme l'intrigue d'un roman. Sa hauteur - le clocher le plus élevé de la province après ceux de la cathédrale - la fait choisir en 1744 par Cassini de Thury et Maroldi pour l'établissement de leur carte. C'est précisément cette qualité qui la sauvera à plusieurs reprises de la destruction, car les événements se précipitent.
Dès 1779, l'abbé vend le rez-de-chaussée de la tour à des particuliers. Les cloches sont descendues en 1792, mais le monument rend encore bien des services. Le 3 décembre 1793, l'opticien Pédralio, posté au sommet avec ses instruments, signale l'arrivée des troupes vendéennes venues assiéger la ville. Préoccupée par le ravitaillement des Angevins, l'administration départementale installe au rez-de-chaussée le grand moulin à farine de Fontevraud en 1795. Il y reste jusqu'en 1813.
Hélas, la tour se détériore faute d'entretien. L'État, qui en est resté propriétaire (à l'exception du rez-de-chaussée), n'y fait aucune réparation, de sorte que le préfet la trouve en 1805 dans le plus grand état de dégradation. Un décret impérial l'autorise à louer les étages au propriétaire du rez-de-chaussée, moyennant l'entretien de l'édifice et l'établissement d'un escalier commode pour permettre aux gens de l'art de suivre les opérations du cadastre général. En 1811, le beffroi intérieur supportant naguère les cloches, la toiture et son campanile, ruinés, sont détruits. Les quatre clochetons sont arasés en 1818. La toiture n'est rétablie qu'en 1823, à l'exception du campanile. Entre temps, l'État essaie de se débarrasser de cette encombrante tour, en la donnant au conseil général, qui la refuse. Elle est donc cédée en 1822 au marchand-plombier Voisin, à charge de l'entretenir pendant trente ans et, après cette période, de la démolir à ses frais. Le préfet l'autorise l'année suivante à y établir une fabrique de plomb de chasse.
Cette utilisation peu orthodoxe permet à la tour de passer le cap le plus difficile de son histoire, jusqu'à ce que l'intérêt grandissant pour les monuments historiques la fasse classer parmi ceux-ci en 1862. Déjà le conseil municipal de 1843 déclarait y être attaché peut-être autant qu'à notre clocher. Elle devient propriété municipale en 1866, pour la préserver de la destruction, ce qui n'empêche pas l'industrie du plomb de chasse de s'y perpétuer jusqu'en décembre 1904. Son état lamentable - le parement de tuffeau se détache par morceaux - lui vaut alors sa première grande restauration sous la direction de l'architecte Magne (1901-1905).
Quelles fonctions la tour Saint-Aubin n'a-t-elle pas - heureusement - eues ? Gigantesque "porte-drapeau" lors des grandes fêtes (fleur de lys lumineuse pour la visite du duc d'Angoulême en 1814, grand drapeau à son sommet) ; lieu d'observation pour le tracé de la carte d'État-major (1838), musée industriel (1911-1934), observatoire météorologique, salle de réunion pour les scouts de Maine-et-Loire. Pour le retour des soldats morts en Indochine et en Algérie, une chapelle ardente y est dressée. Des expositions artistiques s'y tiennent actuellement. Au cours de sa longue histoire, elle manqua de peu d'abriter un observatoire astronomique et un réservoir d'eau de Loire…
(Source : Sylvain Bertoldi)
* * *